Bouton d'or [libre]

Heine aimait s’attarder, en fin d’après-midi, sur la devanture des magasins, toujours à la recherche d’un petit quelque chose à offrir à sa fille. Il se l’imaginait, portant ce chapeau fait de paille noué d’un ruban nankin, ou mettant ses pieds dans ces petits souliers de cuir. Peut-être ce bijou lui plairait, il était d’une telle beauté… Mais à quoi serviraient tous ses efforts. Jamais il n’arriverait à lui offrir quoi que ce soit. Depuis des années, il ne lui avait rien donné, à part quelques billets pour argent de poche. Même les jours de fêtes, il ne le pouvait. Et quand c’était Titania qui lui offrait des présents, il se mortifiait, et se défendait à coups de colère, dévalorisant ce qu’elle lui offrait. Mais cette cravate de soie bleue qu’il avait tant dénigré était celle qu’il portait le plus souvent, et ces boutons de manchette argentés étaient ses préférés. Perdu dans ses doutes et ses pensées, Heine observa un instant ce bracelet de fil à son poignet. C’était sa fille qui lui avait fait, avec du fil mouliné, du fil à broder, un jour qu’il était triste, car le bijou qu’elle lui avait fait des années auparavant, de perles de bois, s’était cassé. Titania devait avoir sept ans, et avait profité de son sommeil pour nouer d’amour et d’espoir autour de la main de son père ce signe d’affection. Peut-être s’attendait-elle qu’il crie, car à son réveil, elle fit tout pour l’éviter. Mais Heine ne lui en parla pas, et de nombreuses fois la jeune fille put surprendre cet ogre blond déposer sur ce bijou sans valeur apparente un baiser comme si ce dernier aurait été les joues de l’enfant que toujours elle sera pour lui. Heine ferma ses yeux d’un bleu éteint, et, frémissant, porta ces fils entremêlés à son visage et les baisa, les serra entre ses dents avec douceur, cherchant la force de cette fois, pouvoir offrir à Titanide un présent. Oh, une seule fois. Mais quelque chose le retenait, comme un méchant démon, d’être de temps en temps gentil, ouvertement. Mais ce démon ne l’empêcha pas de pousser la porte d’une boutique et d’y pénétrer, bottes en avant, et d’observer de son œil exercé les boucles d’oreilles qui s’étalaient sur des tissus de velours.

Titanide avait-elle les oreilles percées ? Heine ne savait pas. Il ne savait pas même ça ! Jamais il ne lui avait acheté de boucles d’oreilles. Peut-être celles-ci seraient trop lourdes pour ses délicats lobes. Oh, surtout, penser à ne pas égratigner les pétales couverts de rosée de cette fleur de bonheur. L’homme sortit de l’intérieur de sa veste de cuir une photo de sa crème, et l’observa avec soin. Il voulait quelque chose de discret, mais de riche. Quelque chose qui brille, accroche le regard, sans faire vulgaire. C’était un choix difficile. La vendeuse le connaissait, souvent il passait admirer les beautés froides qui sous les vitrines se prêtaient à des poses lascives et envoûtantes, envoyant leurs éclats droit dans les yeux des passants, qui difficilement leur résistait, à ces bijoux. La vendeuse savait aussi qu’il aimait se débrouiller seul et qu’au moindre problème, il claquerait des doigts pour la rameuter. Heine rangea la photo, décidant qu’aujourd’hui, ce qui allait à ravir à sa fille c’était de l’or. Il choisit une paire de créoles finement ouvragées, et un bracelet doré, fin cerceau qui sur la peau d’albâtre de sa fille serait du plus bel effet. C’était sa poupée à lui, et qu’est-ce qu’il aimait la parer, comme un enfant l’aurait fait. Il paya ses achats et sorti de la boutique, sorti les préciosités de leur écrin pour en admirer les formes. Même, un sourire naquit sur ses lèvres sévères, mais bien vite s’évanouit. Quel prétexte pourrait-il bien inventer pour les lui donner ? Est-ce que ces bijoux allaient, comme tout les autres, finir rangés au fin fond de son armoire dans le but de ne jamais être dévoilés ? C’était fortement probable. C’était si dommage. Sèchement, Heine remit le tout dans leur boîte, et parti se trouver un banc ou méditer en paix. Ou plutôt, se torturer en paix.

Ses pas le menèrent vers l’ouest, sur les bords de l’étang. Il n’y avait personne, et seul comme le blond s’avachissait un banc sans personne dessus. Heine n’eut pas de remords à s’y laisser tomber de tout son poids, profitant de l’ombre des feuillages des arbres qui le surplombaient pour se reposer. C’était un vieux banc grinçant et en bois vermoulu, imbibé d’humidité, autour duquel poussait des boutons d’or et d’hautes herbes. Heine saisit délicatement une fleur, et l’arracha du sol, faisant de même avec sa voisine. Aucune méchanceté dans son geste, non, les fleurs ne gémissaient pas assez pour s’attirer les faveurs de cet homme. Voilà qu’entre ses doigts fins comme des pattes d’araignées naissait une couronne de fleurs. Pour qui donc était-elle ? Pour personne. C’était une œuvre éphémère, que certainement après l’avoir finie, il abandonnerait dans les hautes herbes ou dans une poubelle. Juste histoire de s’occuper le temps que le soir tombe. Ce serait l’heure de rentrer, Titania aurait préparé le dîner, et encore une fois ses cadeaux finiraient rangés, cachés.