nate ; satyrs and saints, devils and heathens and lies (uc)

Il était rare de nos jours, de rencontrer des lieux aussi déserts. Pas âme qui vivent à des kilomètres à la ronde, si ce n’étaient les quelques oiseaux qui chantaient, dans les arbres environnants. Assis au centre d’une clairière, Nathaniel Remus Lewis était immobile. Le vent passait dans sa chevelure blonde, dérangeant ici et là quelques mèches. Vêtu de vert et de brun, le jeune homme à la silhouette gracile et aux traits fins, presque féminins, semblait tout à fait à sa place dans ce décor sylvestre. Un elfe sage, ou tout autre esprit de la forêt. Oui, on aurait bien pu le prendre pour ce qu’il n’était pas, tant il paraissait en harmonie avec la nature qui l’entourait. Il n’était pourtant qu’un simple être humain. Un sorcier, aussi. Mais cela ne le différenciait pas des autres. Du moins, à son idée. Après tout, il gardait toutes ces envies de vengeances, de violence. Il restait aussi triste et grave que ses congénères. Il n’avait qu’un poignard rituel en plus. Qu’une sensibilité exacerbée. Etait-ce suffisant pour le rendre à ce point différent ? Il fut un temps où l’on avait chassé les êtres qui, comme lui, pratiquait la sorcellerie. Il devinait sans mal qu’on les chasserait encore aujourd’hui. La peur de la différence habitait toujours l’esprit des hommes. L’habitait toujours lui, qui avait déjà bien trop été victime. Bien trop été la proie. Mille cinq cent soixante six. Sept cent quatre-vingt dix-huit. Ces deux nombres le brûlaient, comme rien ne pourrait jamais brûler personne. Il les sentait, comme gravé au fer rouge, sous sa peau. Ils étaient la preuve, invisible aux yeux, mais perceptible pas les cœurs, de sa violence. De La violence, comme on la trouvait partout en ce monde. Celle qui l’avait élevé, qui avait été sa plus fidèle parente. Celle qui ne l’avait jamais quitté, qui était encore là, à ses côtés. Ses pupilles s’attardèrent un moment sur sa droite, comme s’il avait pu La voir, là, assise près de lui. Un sourire amer passa fugitivement sur ses lèvres, avant d’aller mourir quelque part, ou de renaître sur les lèvres de quelqu’un d’autre.

Il maintenait avec fermeté le linge sur sa tempe. Le sang sur son visage avait déjà séché, et il savait déjà que ses vêtements étaient fichus. Ses yeux ne quittaient pas son reflet. Sa mâchoire, crispée, lui faisait mal. Il faisait de son mieux pour retenir le flot de larmes qui menaçait de déborder. Ce n’était ni de la tristesse, ni de la honte. C’était de la haine pure. Il haïssait ce père pétri de violence et d’horreurs. Ce père qui devait à présent être affalé devant la télévision, et qui ferait comme si de rien n’était, comme après chacune de ses crises. Nathaniel écoutait les sanglots étouffés de sa mère. Il aurait aimé la prendre dans ses bras, comme il l’avait fait autrefois. Il aurait aimé la consoler, lui dire qu’il serait toujours là pour la protéger. Elle se défendait toujours en disant que c’était à son père de les protéger, qu’il était fort, qu’il le faisait très bien. Qu’il était juste un peu… surmené et que… Elle ne terminait jamais sa phrase. Elle était faible et soumise, et il refusait de la comprendre. Mais il ne la méprisait pas, parce qu’elle était sa mère, et qu’elle était pleine de douceur. Elle préférerait sans doute se vider de son sang sur le carrelage de la cuisine, plutôt que d’avouer que son mari était un monstre. Il y a quelques temps encore, oui, Nate serait aller sécher ses larmes. Mais sa mère, il ne l’aimait plus. Sa mère et sa nouvelle conception de la vie. Ils étaient déjà criblés de dettes. Ils l’étaient encore bien davantage à présent qu’elle vouait un culte à cette… secte, dans laquelle elle s’était laissé enrôlée. Il étouffa un gémissement de douleur, lorsque sous sa colère contenue, il appuya trop fort sur la plaie de son crâne. Il espérait ne pas devoir se rendre aux urgences. Il ne saignait déjà plus. Il avait eu peur cette fois. Peur de mourir, là, dans un coin du couloir. Parce qu’il avait barré le chemin à son père. Son poing libre se serra. Il les haïssait. Tous les deux. Il les haïssait plus que tout autre chose. Ils l’avaient trahi, avaient cédé à leurs égo, à leurs pulsions, sans se soucier de leur enfant. Sans se soucier d’eux-mêmes. Et qu’allaient-ils devenir tous les trois ? Pouvaient-ils seulement espérer un avenir alors qu’ils ne faisaient que se détruire ? Il avait 16 ans. 16 ans et toute sa vie devant lui. Sa place ne pouvait pas être ici, entouré de mort et de fanatisme. Il sentit le sang se remettre à couler lorsqu’il laissa le linge tomber. Il s’en fichait, plus rien ne lui importait. Il avait pris sa décision : il devait partir. Loin. Quitter ce malheur et cette violence. Il ne voulait pas passer sa vie à pleurer sous les coups, à soigner ses blessures. Il ne voulait pas voir sa mère crever dans un suicide collectif ou dans un coin de sa chambre. Il ne voulait pas. Il devait partir.

Il ferma les portes de sa jeunesse. Il était encore trop douloureux de les ouvrir. Il n’aimait pas se souvenir. Il n’en voyait de toute façon pas l’intérêt puisque sa mémoire était juste teintée de sang, de violence, de regrets. Il avait perdu sa famille, mais n’avait jamais trouvé la paix à laquelle il aspirait. Un sourire à nouveau. Sans doute n’était-il pas fait pour cela, à la paix, au vu de son caractère, c’était la moindre des choses de se l’avouer. Il cherchait peut-être trop souvent la bagarre, n’était pas diplomate pour un sou… il avait eu peur, en quittant son « chez lui », de finir par devenir comme son père. De finir par se haïr parce que lui non plus, n’était pas capable de contrôler sa colère. Il avait toujours peur, ne s’approchait jamais d’un verre d’alcool, ne touchait pas à la drogue. Il s’était promis de ne jamais perdre le contrôle de lui-même, promis de ne jamais faire de mal sciemment à autrui. Oh ! Il n’en était pas pour autant une âme charitable. Il n’avait d’ailleurs pas beaucoup d’amis : il faisait peut-être un peu peur, s’emportait parfois un peu trop. Mais il savait ce qu’il valait. Savait qu’il ne ressemblait en rien à son père, et que lui resterait fidèle à ceux qui l’aimeraient.

« C’est de la sorcellerie. » Nathaniel lui jeta un regard en coin. « De la sorcellerie ? Tu te fous de moi. » « Absolument pas. » « C’est des conneries. Ca n’existe pas, ça ne peut pas exister. » L’autre prit l’air amusé. Ce qui n’arrangea en rien l’agacement de Nate. Ils ne comprenaient ce qu’ils faisaient tous là, à genoux dans l’herbe encore humide de rosée. Ils les avaient plusieurs fois aperçu, mais c’était la première fois qu’il s’approchait et qu’il osait s’intéresser à leur petit manège. « Tu veux essayer ? » « Essayer quoi ? » « De comprendre. » Son interlocuteur haussa les épaules, et une place se fit entre une jeune fille rousse, et un garçon à lunettes. Il les regard tour à tour, sentant la colère l’envahir. « Me prend pas pour un idiot. » « Tant pis pour toi. » « Ca n’existe pas. » « Tu n’en sais rien. » « C’est… » ce que tout le monde dit. Mais il n’avait pu empêcher le doute de s’insinuer en lui. Il était encore persuadé qu’ils se fichaient de lui. Pourtant, ça ne tenait pas debout. Tous ces jeunes devant lui ne faisaient pas parti des plus turbulents. C’étaient ceux qui parlaient le moins. Ils étaient victimes, souvent. Pas les bourreaux. L’autre lui indiqua la place libre de la main, une nouvelle fois. Les lèvres pincées, Nathaniel tourna les talons, et du faire un effort colossale pour ne pas se mettre à courir.

Une nouvelle brise vint soulever sa veste et ses mèches. Un nouveau sourire ornait ses lèvres, et ce n’était plus l’amertume qui l’habitait à présent. Le chant des oiseaux s’était intensifié, il devina le pas vif d’un renard, là, dans les ténèbre de la forêt. Il aimait être ici, où rien ne semblait pouvoir l’atteindre. A part son passé, peut-être. Mais il était capable, à présent, de le tenir loin de lui, de fermer les portes de ses peurs et de toute la violence enfoui en lui. Les yeux clos, il prit le temps d’apprécier ces quelques secondes où il ne pensait à rien d’autre qu’à la nature qui l’entourait. Jamais encore, il ne s’était senti aussi bien quelque part. Il n’avait plus de chez lui depuis longtemps. Il doutait même d’en avoir eu un. Même parmi les siens, il ne savait pas trop où se mettre. Il n’avait jamais été un grand bavard, il n’avait jamais su comment s’épancher. Nate n’avouait jamais le moindre de ses sentiments, et ceux qui tentaient de le percer l’agaçaient prodigieusement. On n’allait pas vers lui spontanément. Et quelque part, il en était blessé. Réaction pour le moins paradoxale puisqu’il semblait tout faire pour qu’on le fuie. Finalement, tout ce qui importait pour lui aujourd’hui, la seule chose à laquelle il pouvait se raccrocher sans craindre qu’elle ne le trahisse, c’était la sorcellerie. Lui qui n’y avait pas cru. Lui qui avait tenté de fuir… il se souvenait avoir fait demi-tour, et avait finalement intégré leur cercle. Da fierté avait été mise à mal, lui qui s’était promis de ne plus jamais céder à qui que ce soit, il avait finalement trahi cette promesse faîtes à lui-même pour quelques tours de passe-passe. C’était du moins ce qu’il pensait alors… il état loin d’imaginer où tout cela le mènerait. Il n’avait rien demandé. Ne souhaitait pas voir sa vie changer. Nathaniel s’était fait à l’idée qu’il ne connaîtrait jamais cette félicité à laquelle tout le monde aspirait tant. Cela faisait bien longtemps qu’il avait perdu ses illusions, ses envies de bonheur. Tout cela s’était envolé avec les nombres gravés sur ses os. Coups pour coups. Violence pour violence. Il s’était fait à l’idée qu’il ne vivrait pas autrement qu’en souffrant, et qu’en infligeant la souffrance.

Et ils étaient venus, finalement. Ils étaient venus et l’avaient pris avec eux. Dans leurs bras froids, dans leurs girons sans âge.